imaginons nos futurs

Mai 2051,

Le 28 juin 2018, l’usine Jean Caby de Saint-André ferme. A la suite de la liquidation judiciaire, un groupe breton remporte les enchères et commercialise ses produits sous la marque Jean Caby. Suite à la crise de la Foi de 2028 qui entraîna une modification globale des comportements alimentaires, la filière d’exploitation des porcs se diversifie dans la fabrication de viande végétale à base de haricots, de lentilles, de pois-chiches et d’algues. La marque Jean Caby devient plus simplement K-bi, et décide, comme un retour aux sources, de s’implanter à nouveau dans la ville de Saint-André.

C’est surtout le plan Euroglocal, mis en place à la fin de la crise de la mondialité des années 20 et visant à relocaliser au maximum les appareils de production alimentaire, pharmaceutique et technologique au plus près des lieux de consommation, qui motive les investisseurs à revenir s’installer dans le berceau d’origine de la marque.

En 2036, soit 50 ans après l’invention de la saucisse cocktail qui fit la réputation initiale de la marque, le chantier de la ferme vertical K-bi s’achève. Du haut de ses 160 mètres, couronnés par une immense éolienne à axe verticale, elle est devenue un véritable marqueur du territoire. En l’espace de 15 ans, de nombreuses autres fermes verticales ont été construites dans la métropole, chacune ayant des spécificités différentes, mais aucune ne bénéficie du cadre exceptionnel qui s’est développé au pied de la ferme K-bi de Saint-André.

Rappelons le, cette ferme verticale, que les habitants aiment à appeler le géant vert, plonge ses fondations dans le canal de la Deûle, et plus précisément à l’endroit du Delta-Deûle. Qui ne connaît pas aujourd’hui ce quartier, point final de la zone Euralille où les affaires croisent détente, loisirs et culture. Longtemps délaissée, cette zone est située à la croisée du canal de la Deûle et de l’ancien canal de la basse Deûle, devenu aujourd’hui canal du Peuple Belge depuis sa réouverture jusqu’à la place Louise de Bettignies.

Mais plutôt que d’urbaniser à outrance, les élus décidèrent en 2032 de profiter de l’aménagement à très grand gabarit du canal de la Deûle pour modeler une zone tampon supplémentaire capable d’accueillir les épisodes de ruissellements urbains importants. C’est ainsi que le Delta-Deûle vit le jour. Cette vaste étendue d’eau de plus de 30 hectares donne au canal de la Deûle des proportions inédites et offre de larges perspectives aux habitants de la métropole.

Anne-Laure Vermeulen habite Saint-André depuis sa plus tendre enfance. Le Delta-Deûle, le « Dédé », elle l’a vu naître petit à petit. « Bon aujourd’hui, c’est sûr que ça n’a plus grand chose à voir avec ce que c’était il y a une vingtaine d’années. Là, on a l’impression qu’il y a un lac maintenant. Regardez nos îles au milieu de l’eau. Il y a un air de Finlande, non ? Faut dire qu’on s’est battu avec les « Nez-nus » pour les avoir ces îles… » Les Nez-nus dont parle Anne-Laure est le nom que s’attribuent les membres de l’association d’habitants de Saint-André « les Nénuphars ». Cette association, dont Mme Vermeulen est la présidente, se mobilisa, bien en amont de la mise en eau du delta, afin que des zones émergées soient conservées au milieu de cette zone fluviale.

Ces zones, où le port du masque d’identification n’est pas obligatoire, sont vite devenues des zones propices au bien être et à la détente. On y trouve un SPA, une ginguette, un aquarium, une piscine d’eau douce, et une multitude de petits ilôts où chacun peut se retrouver le temps d’un pique-nique, d’un cours de Chi-gong, ou d’une simple sieste dans un des hamacs mis à la disposition de tous. Si les plus courageux se rendent sur ces îles à la nage depuis les falaises de la basse Deûle qui se dressent sur les rives de La Madeleine (ndlr : la nage étant interdite dans la zone de navigation qui sépare la ferme K-bi des îles du Delta-Deule), la plupart des usagers de ces îles utilise les bateaux-bus et les drones d’eau.

A la barre de son bateau-bus qui relie Roubaix à Lille stationné à la gare fluviale de l’aquarium, nous rencontrons Raoul, salarié de la société de transport Ilévia : « Franchement, je ne changerai de métier pour rien au monde. Depuis la mise en place des Boat Wheel et des Speed Lock à chaque écluse de la métropole, on ne perd plus de temps. Avant qu’ils se décident à mettre en place le TFP (transport fluvial partagé), les quais des canaux étaient tristes. Il ne se passait rien.

Et puis, on a vu de nouveaux lieux se créent avec l’apparition des gares fluviales. Ça a créé de l’activité ! C’est sûr que les drones fluviaux c’est pratique, rapide et bon… surtout il n’y pas d’attente… Tu réserves le bazar et hop l’engin est là… Mais il n’y a pas le côté humain et convivial qu’il y a dans nos bateaux. Bon, je ne cache pas que parfois faut aussi faire un peu la police…

Moi, ce que je préfère c’est quand je conduis une des péniches écoles mise en place par le pôle d’éducation métropolitain. Je conduis les enfants d’un point A à un point B pendant leurs classes bleues et en même temps j’apprends toujours quelque chose de nouveau. »

Lorsque la MEL est rebaptisée la Métropole Bleue en 2035, trois péniches venues des terres immergées du Benelux sont réquisitionnées afin de les transformer en salle de classe nomade : les classes bleues. Les trois péniches dépendent de l’E.S.T. (Ecole Sociale des Territoires) située dans la partie habitée du pont multimodal qui surplombe le Delta-Deûle et qui relie la ville de Lille à Saint-André. L’enseignement prodigué dans les classes bleues s’adresse à tous et est

articulé autour des questions écologiques et sociales propres au territoire de la Métropole. La semaine, ces classes sont majoritairement pratiquées par des groupes scolaires. Pendant les week-ends, elles deviennent de hauts-lieux de débats publics et démocratiques.

Les classes bleues viennent ainsi compléter l’offre d’enseignement nomade sur voie d’eau déjà proposée par la F.A.C. (Fabrique des Arts et des Cultures) avec sa flotte de

Penarts, ces fameux musées péniches qui sillonnent les canaux des Hauts de France et de Belgique. Le port de la F.A.C., situé au pied des falaises de la basse Deûle, vient d’ailleurs de se doter de deux nouvelles darses permettant d’accueillir de nouvelles Penarts lors d’événements tels que le festival international de Bioart des bords de Deûle.